Monsieur le recteur,
Nous nous réjouissions de l’ouverture, par l’école publique, de 4 classes de maternelle dites immersives lors de la rentrée 2023-2024, à Colmar, Brumath, Sélestat et Altkirch. Enfin l’Education Nationale allait appliquer un modèle qui a fait ses preuves ici, en Alsace, dans les écoles de l’association ABCM Zweisprachigkeit, ainsi qu’en Corse, en Bretagne ou encore au Pays Basque !
Quelle ne fut pas notre déception, lorsque nous avons appris que la solution retenue était celle d’un enseignement à 25% en langue française ; autrement dit, une immersion non immersive, qui ressemble à un cursus bilingue un peu renforcé.
Pire, elle rompt avec une règle indispensable à la structuration cognitive de l’enfant : une langue par référent. Un enseignant unique pour les deux langues va immanquablement embrouiller les esprits des élèves. Le français étant, en-dehors de l’école (et même dans la cour de récréation !), la langue dominante, ce système hybride conduira très rapidement à l’usage du français comme langue de référence et à des traductions systématiques. Les enfants seront « immergés » dans un bain linguistique, mais à contre-courant des pratiques et expériences reconnues.
Cette organisation immersive différenciée pour l’Alsace réduit une bonne intention au rang de mesure figurative avec comme conséquence une perte de temps supplémentaire. L’échec est certain, alors que l’on sait que la seule véritable immersion pourrait encore retourner la tendance et sauver l’alsacien.
Ne vous félicitez pas des déclarations enthousiastes de nos politiques locaux, qui vont jusqu’à mettre sur le même plan votre politique avec la « Stratégie France » du Saarland voisin, lequel affiche clairement ses objectifs dans le niveau de maitrise du français généralisé à l’ensemble de sa population. Gageons que, si nous ne changeons pas de braquet, dans quelques années, le résultat côté sarrois – région historiquement germanophone ! – risque de faire pâlir de jalousie nos Alsaciens.
Unser Land souhaite une offre publique et populaire pour l’accès à un bilinguisme de qualité. Non seulement pour des raisons économiques, évidentes, mais aussi parce que notre langue, dans ses variantes littéraires et orales, s’inscrit pleinement dans un espace germanophone de 100 millions de locuteurs, dont nous faisons historiquement partie. Il appartient à l’Alsace de faire valoir son héritage linguistique dans cet espace. Notre langue régionale est une langue de dimension continentale et sans elle, nous sommes en incapacité de jouer notre rôle de liant dans la construction européenne. Les conséquences pourraient se révéler fâcheuses.
L’éducation nationale, dont vous êtes le plus haut représentant dans notre région, est déjà sur le point d’abandonner au privé le terrain de la mixité sociale. Seule une véritable politique linguistique, digne de ce nom, sera susceptible d’élever notablement et à peu de frais les chances de réussite, d’ouverture des enfants du public et de réenclencher l’ascenseur social. Cela constituerait un acte fort dans la restauration/préservation de l’égalité des chances pour tous.
Si nous échouons, avec les crises économiques et les bouleversements à venir, les moins armés seront sacrifiés, vous le savez.
Pour ces raisons, monsieur le recteur, en tant que responsable des pédagogues en charge de l’avenir de nos enfants, il est urgent, pour l’école publique, que vous passiez à l’action. Vous pouvez bénéficier, pour cela, du retour d’expérience de vos pairs des régions à forte identité linguistique citées plus haut.
Es ist noch Zeit eine effiziente Politik zu führen. Machen Sie es nicht für die Partei, die ich vertrete. Machen Sie es für die Kinder des Elsass. Mìr zähla uf Sie!
Avec mes sincères salutations,
Martin MEYER, Vice-président